Le loriot dans le roman "Pélerinage vers l'Ouest" : son évocation, sa symbolique
Les animaux dans "Pérégrination vers l'Ouest"
Le loriot
allégorie printanière poétique,
et expression de la grâce féminine.
La grue et le phénix oriental sont les volatiles célestes qui viennent en tout premier lieu à l'esprit pour symboliser l'immortalité dans la culture taoïste chinoise. Leur évocation régulière au fil du roman La Pérégrination vers l'Ouest ne fait pas oublier pour autant la présence de bien d'autres oiseaux composant le grand bestiaire du roman. Parmi la gente ailée rencontrée au fil du roman la plupart des oiseaux ne relèvent pas de l'imagination ou du fantastique contrairement au phénix C'est le cas notamment du Loriot connu sous le nom de loriot à capuchon noir ; cette forme asiatique rassemble sous son aile de nombreuses variétés désignées en latin par les ornithologues selon les règles de pour définir la les nomenclatures bi-nominale. Le loriot à capuchon noir peut être ainsi désigné Oriolus chinensis.
Au cours du Voyage vers l'Ouest, le loriot est cité dans dix poèmes pour évoquer le printemps, l'apparente douceur de vivre et l'insouciance. La beauté de sa parure jaune et noir, son élégance et la singularité de son chant harmonieux contrastant avec sa relative discrétion en présence de l'homme, contribuent à son aménité. S'il ne semble pas associé directement au taoïsme, il est toutefois souvent annonciateur d'un épisode impliquant des personnages taoïstes, plus ou moins bien intentionnés ! Dans le fameux chapitre où Tripitaka et Porcet tombent enceints, le batelier de service est en fait une batelière. Malgré un visage buriné et une peau des mains et des poignets rude, sa voix garde "la douceur et le charme du chant du loriot". On peut décrypter souvent un aspect yin (féminin) chez "l'oiseau-jaune" 黃鶯 qui est annonciateur du Royaume des femmes ou autre royaume dans lequel le moine chinois est convoité pour devenir l'époux d'une juvenile beauté ! Nous allons voir plus loin que ce magnifique mais discret passereau fructivore n'est pas totalement étranger à la recherche de l'immortalité lorsqu'il se trouve perché sur ... un pêcher ou un saule !
Sauf indication contraire, nous faisons référence à l'ouvrage Pérégrination vers l'Ouest traduit par André Lévy, éditions Gallimard - Bibliothèque La Pléiade, 1991.
Quelques mots pour décrire le fascinant loriot à tête noire de Chine
Le mâle du Loriot à capuchon noir porte bien son nom, arborant une tête et une poitrine d'un noir éclatant qui s'étend jusqu'à une épaisse bande autour du cou. Son plumage d'un jaune éclatant couvre le reste de son corps, ajoutant une touche de soleil à n'importe quel paysage. Les femelles et les petits loriots au sortir du nid sont légèrement moins flamboyants, avec un corps jaune plus terne et une gorge striée au lieu d'un capuchon noir uni.
Le loriot à capuchon noir est largement répandu en Asie du Sud. Il se trouve généralement dans les plaines et les contreforts, typiquement à moins de 1 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cependant, dans certaines régions, ils ont été observés à des altitudes plus élevées.
À l'approche de l'hiver, certaines populations de loriots peuvent entamer une migration vers le sud, parcourant des milliers de kilomètres vers des régions plus chaudes (alors que les loriots d'Europe repartent systématiquement vers l'Afrique à partir de fin août ce qui est le cas des loriots familiers des Jardins du Loriot, les petits repartant un mois plus tard). En Asie, cette migration se produit généralement entre septembre et octobre et garantit l'accès aux ressources essentielles pendant les mois les plus froids.
Le comportement du loriot à capuchon noir démontre son intelligence, sa capacité d'adaptation et ses fortes interactions sociales. Il a une grande capacité d'adaptation. Il est omnivore et son régime alimentaire se compose principalement d'insectes comme les chenilles, les coléoptères et les sauterelles. Les loriots à capuchon noir comme les loriots d'Europe complètent volontiers leur régime avec des fruits, des baies et du nectar, s'adaptant ainsi à la disponibilité locale de la nourriture.
Ils sont très agiles et acrobatiques, se suspendant la tête en bas et manœuvrant à travers un feuillage dense pour atteindre des sources de nourriture cachées.
Ils peuvent être coopératifs : Dans certaines situations, ils peuvent s'adonner à la recherche de nourriture en groupe, en collaborant avec d'autres oiseaux pour débusquer des proies ou découvrir des fruits cachés. Comme certains singes, bien que cela soit peu fréquent, il a été rapporté que le loriot à capuchon noir utilise des brindilles ou des feuilles, pour accéder à de la nourriture difficile à atteindre. Justement il peut entretenir des relations mutuelles avec d'autres espèces, comme les singes ou les écureuils.Les oiseaux profitent des insectes et des fruits rejetés par les mammifères, tandis que les mammifères ont accès aux fruits ouverts par les oiseaux !
Le loriot à capuchon noir est réputé pour ses nids suspendus tissés de façon complexe, qui ressemblent souvent à une poche ou à un panier. La femelle construit seule son nid, tissant habilement des fibres végétales, des herbes et des feuilles à l'aide de son bec. Le nid est généralement construit dans la fourche d'une branche d'arbre, à une hauteur de 10 à 20 mètres au-dessus du sol. L'extérieur du nid est souvent orné de lichen, de toiles d'araignée et d'autres matériaux naturels, ce qui lui permet de se camoufler et de se fondre dans le feuillage environnant. L'intérieur du nid est tapissé de matériaux doux comme des plumes, du duvet et des fibres végétales, créant ainsi un environnement confortable et sûr pour les oisillons. Cette aspect matriarcal est connu aussi chez le loriot d'Europe. Si l'on en croit le célèbre naturaliste Buffon le loriot mâle joue un rôle essentiel dans le couple par le jeu de la répartition des tâches au sein du foyer !!! Les légendes grecques pourraient bien rejoindre la mythologie chinoise : le loriot est bel et bien un oiseau aux pouvoirs magiques. C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que nous avons choisi le loriot comme emblème de notre parc !
Enfin terminons cette description en évoquant les vocalisations mélodieuses du loriot à capuchon noir qui représentent un autre aspect fascinant de son comportement. Leur répertoire varié remplit une multitude de fonctions, contribuant à la communication, à la défense du territoire, à la réussite de l'accouplement et à l'ensemble des interactions sociales. Les orthnitologues font la distinction entre les appels et les chants. Parmi les appels il est fait la distinction entre le sifflement, le glossement et le bavardage. Un "sifflement" aigu et nasal : Il s'agit de l'appel le plus courant, souvent utilisé pour maintenir le contact entre les membres de la famille. Un "gloussement" rude est généralement utilisé comme cri d'alarme ou pour exprimer son agressivité envers les intrus. Le "bavardage" doux et sec : cette vocalisation plus calme est souvent utilisée pendant la recherche de nourriture, ce qui leur permet de communiquer leur position aux autres membres. Le loriot dispose d'un répertoire de chants bien caractéristiques. Le chant grinçant et brusque est le chant principal du mâle de l'oriole à capuchon noir, utilisé pour attirer les partenaires et défendre son territoire. Les cris félins sont basés sur le mimétisme et ajoute de la variété et de la complexité à ses mélopées. Les sifflements entrecoupés correspondent à des notes claires et sifflantes souvent intercalées dans leurs chants, ajoutant un élément mélodique. Enfin on peut entendre des sons imités : Les oiseaux sont d'habiles imitateurs (il peut par exemple imiter l'étourneau qui peut imiter lui-même le loriot !) Ils incorporent dans leurs chants des sons provenant de leur environnement, d'autres cris d'oiseaux, des paroles humaines et même des bruits mécaniques.
Il s'agit d'une description générale du loriot à capuchon noir qui n'a d'autre but que de permettre au lecteur de se représenter ce magnifique oiseau présent dans Voyage Vers l'Ouest. En réalité, il existe en Asie de nombreuses variétés.
2 petites séquences vidéo sur le loriot à tête noire
Les 10 poèmes évoquant le Loriot dans Le Pélerinage vers l'Ouest
avec quelques explications.
Volume 1
Chapitre 9
Titre du chapitre : Où l'impeccable calcul d'un devin sans partialité pousse un dragon à la faute d'enfreindre l'ordre du ciel.
p. 168.
Contexte : Les pèlerins sont sur le point d’arriver à Chang'an (dont le nom signifie Paix-Perpétuelle), lieu de résidence de nombreux rois et empereurs, dont l’empereur des grands Tang Wen qui portera le nom de Taizong. Mais avant leur arrivée, le lecteur est invité à écouter le dialogue entre deux sages qui vivent sur le bord de la rivière Jing. Ils y mènent une existence simple et se sentent libres. Ils n’ont pas d’ambition, il ne veulent pas se couvrir de gloire car elle pourrait mettre leur vie en danger . L’un est bûcheron et l’autre est pêcheur. Ils se livrent amicalement à une joute poétique sur leur bonheur : « tes montagnes bleues ne valent pas mes eaux limpides » dit le pêcheur, « tes eaux limpides ne valent pas mes montagnes bleues » lui réplique son ami bûcheron :
« Dans un coin dense de la forêt de sapins,
J’écoute en silence le loriot chanter :
Ses trilles sont plus habiles que la flûte.
Le doux printemps s’habille de vert et de rouge.
Bientôt viendra l’été : ainsi passe le temps,
Puis l’automne changeant, aux flagrantes fleurs jaunes.
Une chiquenaude : c’est l’hiver sévère !
Qu’importe : en toutes saisons je suis libre […] »
Alors que les 2 sages se séparent sur cette aimable joute, un yaksa (dans la mythologie de tradition hindouiste et bouddhiste, créature qui peut-être bienveillante ou malveillante) a surpris la conversation où il est question de l’infaillibilité d’un maître devin de Chang’an.
Chapitre 17
Où Singet fait grand raffut au mont du Vent-Noir et Guanyin subjugue le monstre plantigrade.
pp. 324-325
Contexte : À la recherche d'un monstre décrit comme un grand gaillard noir, Singet aperçoit une résidence troglodyte contre la muraille d'une falaise. Il est sur le point d'arriver à la Grotte du Vent-Noir du Mont du Vent-Noir. C'était :
Brumes lointaines et forêts denses.
La brume se colorait au portail
Qu'entourait le vert des pins et cyprès,
Le pont se franchit sur des planches de bois,
La glycine part à l'assaut des sommets.
Pétales au bec, le oiseaux en émoi
Retrouvent les biches permis les bosquets.
Devant le portail fleuri, brise parfumée :
Chante le loriot sur le saule perché,
Volette le papillon entre les pêchers.
Etendue sauvage indigne de louanges,
Mais qui vaut paysage du séjour des anges (1).
(1) La traduction d'Anthony Yu fait explicitement référence au mont Peng Lai. Il s'agit d'une montagne sur une île située selon la mythologie chinoise en mer de l’Est. Les immortels s'y retrouvent. Le mont Penglai est décrit dans les légendes comme un paradis. Il n’ y aurait ni douleur, ni faim, ni maladie. Les gens y vivraient en parfaite harmonie et les fruits magiques offrent abondance et guérison. Sur les représentations antiques, les résidents y étaient représentés ailés comme des anges.
Volume 2
Chapitre 53
Où son repas avalé, le maître de méditation fait une grossesse démoniaque, et Femme-Jaune (1) apporte l'eau qui dissout la conception perverse.
p 44.
Contexte :
Après une longue marche des pélerins, revient le temps du printemps précoce. On entendait
Pépier l’hirondelle violacée, chanter le loriot jaune, le bec odorant de l’une encombré, les trilles de l’autre enlacés.
Le sol se couvre du tapis de brocart des pétales tombés, la montagne éclatante de couleurs semble coussins empilés. Des fruits gros comme des pois se forment sur le prunier verdissant ; le vieux cèdre retient les nuages au bord de la falaise.
L'éclat d’une brume légère s’étend sur la plaine, le sable chauffe sous les rayons du soleil. Des vergers sont en fleurs ici et là ; le retour du soleil renouvelle les bourgeons de saules sur la voile terre.
Chapitre 53 (suite)
p. 45
Contexte : Soudain, les pèlerins tombent sur une petite rivière à l'eau claire et fraîche.Tripitaka tire sur les rênes pour contempler, au loin sur l'autre berge, des toits de chaume qui dépassent légèrement le vert sombre de saules pleureurs. Il y a sûrement un bac alors l'Idiot (un des surnoms donnés à Porcet) laisse glisser ses bagages à terre et se met à crier à tue-tête : "Passeur ! Par ici, l'embarcation !". Arrive un bac avec un mystérieux batelier. Tripitaka se rapproche de la berge. Mais à quoi ressemble la personne qui tient la godille ?
La tête enveloppée d’un turban de velours de soie, les pieds dans des chaussures de soie noire, en pantalons et veste de coton cent fois rapiécés, la taille serrée dans la toile d’une jupe mille fois recousue, elle avait la peau des mains et poignets rude, les muscles durs, les yeux troubles, le front plissé et le visage ridé, mais sa voix gardait la douceur et le charme du chant des loriots : à y regarder de plus près, point de doute, c’était personne à porter jupe et bijoux de tête.
Puis arrive ce qui devait arriver : ayant soif, Tripitaka demande à Porcet de puiser un peu d'eau dans le bol. Cela tombe bien dit l'idiot, moi aussi j'ai envie d'en boire...
(1) Femme-jaune est le nom daoïste de Sablon.
Chapitre 73 - Où passion conduite par rancune devient source d'empoisonnement. Heureusement le maître de l'esprit détruit les raisons démoniaques.
p. 434
Contexte :
Nos cinq pèlerins marchent droit vers l'Ouest. Quelque temps plus tard, des tours et bâtiments majestueux frappent leur regard. Tripitaka demande à Singet en tirant sur ses rênes "Qu'aperçois-tu ?). Singet lève la tête et voit :
Tours et pavillons entourés de montagnes, kiosques et terrasses autour d’un ruisseau, un bosquet touffu d’arbres d’essences variées devant le portail, un parterre d'odorantes fleurs sauvages au-delà de la résidence.
L'aigrette blanche perche sur le saule, tel un jade immaculé dans la brume. Le loriot chante dans les pêchers d’un jaune éclatant comme le feu. Cerfs et biches trottent en couple dans le pré vert, sans peur ni souci. Les faisans volent en paires à la cime des érables rouges. On croirait la grotte de la Terrasse-du-Ciel de Liu et Ruan (1), résidence d'immortels, maison du parc de Grand-Lent (2).
... Et Singet conclut qu'il s'agit, probablement, d'un ermitage taoïste ou d'un monastère bouddhique. Arrivés à l'entrée, maître et disciples découvrent un écriteau sur lequel ils peuvent lire : Temple de la Fleur-Jaune.
Quelques explications...
Le loriot et le pêcher sur lequel il chante annonce un lieu taoïste où résident des immortels. Le pêcher dans les légendes chinoises est un des symboles par excellence de l'immortalité... qu'il soit en fleurs ou porteur de fruits. On se souvient de la scène où Conscient de la Vacuité (Singet) a englouti les pêches dans le jardin qu'il avait pour mission de surveiller. Il était à la recherche d'une recette d'immortalité. Dans le verger de la Reine Mère de l'Occident, les pêchers fleurissaient au bout de 3000 ans, et produisait des pêches au bout de 3000 autres années, celles-ci ne parvenant à maturité qu'au terme de 3000 autres années. Le fruit peut être associé également au mariage et au bonheur. Il peut y avoir une analogie entre la pêche et le sein maternel qui alimente le nourrisson et contribue au cycle de renouvellement de la vie. Une légende raconte que les pétales de fleurs de pêcher charriés par les eaux d'un ruisseau avait conduit un humble pêcheur à remonter la source et l'avaient mené au pays du bonheur calme et serein. On pense aussi au conte de Tao Yuanmin intitulé "La source des pêchers en fleurs". Che Bing Chu nous apprend aussi dans "Jardins de Chine ou la quête du paradis" (p. 141) que "le bois du pêcher aurait aussi des pouvoirs supranaturels : les prêtres taoïstes s'en servent pour confectionner des épées utilisées lors de cérémonies religieuses ou pour graver des sceaux dont l'empreinte vermillon scelle les formules de conjuration et les talismans".
La couleur dominante du passereau et de la pêche, associée au rouge feu souligne également l'alchimie de l'élixir de longue vie issu des chaudrons et fourneaux chauffés... à blanc. L'ambiance "sans peur ni souci" qui se dégage de la nature à l'approche du Temple de la fleur-jaune, bascule rapidement dans un autre univers. Les pélerins vont être plongés dans un un monde étrange, intriguant et pesant.
Annotations
(1) Il est fait référence à deux lieux légendaires où résidaient des immortels. La grotte de la terrasse-du-ciel est un rappel d'une légende selon laquelle deux promeneurs de l'époque Han partirent cueillir des simples dans les monts Tiantai. Ils tombent par hasard sur un royaume magique d'immortelles. De retour chez eux après ce qui leur a semblé être une demi-année, ils découvrent que sept générations se sont succédées et qu'ils sont seuls au monde. La perte par ces hommes de leur maison et de leur paradis évoque la désorientation et la désillusion. L'illusion du bonheur paradisiaque confine aux affres des mondes infernaux.
(2) Le Parc du Grand Lent (Langfeng yuan) est le nom d'une montagne peuplée d'immortels selon les Elégies attribuées à Qu Yuan, Song Yu et autres poètes chinois de l'Antiquité (IVe siècle av. J.-C. - IIe siècle apr. J.-C.). Une centaine de poèmes constituant ces élégies ont trait au banissement, à l'errance, aux êtres fantastiques et à la quête de l'amour et de la sagesse.
Chapitre 81 - Où le singe de l'esprit confond la goule dans le monastère pacificateur des mers, et les trois pèlerins cherchent leur maitre , dans la forêt des sapins-noirs.
p. 601
Contexte : Sur le point d'arriver au Monastère de la Forêt-de-Méditation, Tripitaka et ses condisciples viennent de découvrir une jeune fille attachée en haut d'un arbre. Pétris de bons sentiments, ils la conduisent au monastère, elle va pouvoir s'y reposer. Après avoir pris un repas avec les moines ceux-ci se demande quel sorte de monstre a su pénétrer dans leur monastère... six de leurs nombreux bonzes ont disparu depuis trois jours. En s'adressant à Singet (Tripitaka ne se sentant vraiment pas bien depuis son arrivée au monastère) les moines font part de leur inquiétude :
«Quand poussent les cheveux faut les raser et nos robes sans doublure raccommoder. Le matin tôt levés, figure lavée, nous nous inclinons, mains jointes, en obéissance à la Grande Voie. La nuit venue, nous rangeons et brûlons de l’encens, marmonnant avec dévotion en récitant le nom de Mitâbha (1). Nous levons la tête pour contempler le Bouddha en son nonuple trône de lotus, détenant les trois Véhicules (2), par compassion partageant les bienfaits des nuages de la Loi (3), et formulons le vœu en son parc du Jetavana l'honneur des Sâkya (4).
«Nous baissons la tête pour scruter notre cœur, recevoir les cinq défenses (5), transcender le “grand chiliocosme (6)” et, à travers la multitude des phénomènes, nous formulons le vœu de comprendre le vide obstiné et le vide des réalités.
«Ah! Quand viennent les dânapati (7), chacun, vieux, jeune, grand, petit, gros ou maigre, frappe le poisson de bois (8) ou la pierre sonore, s’affaire à psalmodier deux rouleaux du soutra du Lotus (9) ou de la litanie de l'empereur des Liang (10) Si les dânapati ne viennent, les anciens et les nouveaux, rustres ou policés, joignent chacun les paumes, ferment les yeux et, dans le silence et l’obscurité, entrent en contemplation sur leur natte de roseaux, fermant la porte au clair de lune (11).
«Quant au reste, querelles et babillages d’oiseaux et loriots, tout cela ne saurait prendre le grand véhicule de la Loi qui est nôtre, si large que soit la compassion. C’est pourquoi nous ne savons soumettre les tigres ou terrasser les dragons. Nous ne connaissons rien non plus aux monstres et démons.
«Si Votre Seigneurie provoquait l’esprit pervers, il pourrait nous dévorer tous en un seul repas : primo, nous retomberions dans le cycle des transmigrations; secundo, ces restes anciens de la Forêt-de-Méditation seraient détruits; tertio, à l’assemblée de l’Ainsi-venu, il ne nous relierait plus la moindre étincelle de lumière.
«Voilà qui constitue de sérieux inconvénients. »
Annotations
rédigées à partir de notes en bas de page par A. Levy + une explication relative aux poissons de bois.
1 - terme qui correspond au sanskrit Amitâba.
2 - Les 3 véhicules : A. Levy évoque : la connaissance, l'intuition et la foi. Mais plus couramment cette expression fait référence aux 3 grands courants du bouddhisme sectaire : le mahâyânâ, le l'hinâyana, et la voie moyenne représenté par la secte Tiantai.
3 - Il s'agit d'une métaphore. Le dharma (la doctrine bouddhique) est comparable aux nuages de la mousson (dharmamegha en sanskrit) qui apportent une pluie bienfaisante.
4- Jetavana fut le lieu où le Bouddha historique (sâkya) donna la majorité de ses enseignements et discours, ayant séjourné a monastère de Jetavana de nombreuses fois.
5 - Les 5 défenses (Wu jie) sont les cinq premiers interdits que doit respecter tout bouddhiste : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas forniquer, ne pas mentir et ne pas consommer d'alcool.
6 - Il est peut-être fait allusion ici à la cosmologie horizontale bouddhiste selon laquelle se superposent des univers élémentaires de la taille du sommet du mont Sumeru et comprenant sa chaîne de montagnes Cakravada, un soleil, une lune et quatre continents. Grand chiliocosme peut correspondre à 1000 chiliocosmes (c'est à dire composée eux-mêmes de 1000 univers (chilio=1000).
7 - Dânapati (sanskrit) : celui qui échappe à la pauvreté par le don.
8 - Le poisson en bois 木鱼 (mù yú) est un instrument à percussion fabriqué dans un bloc de bois sacré, utilisé à l'origine par les prêtres bouddhistes pour battre le rythme lorsqu'ils psalmodiaient les textes sacrés. Il existe deux sortes de "poisson en bois" : l'un est de forme arrondie, avec des écailles sculptées dessus. On dit que les poissons ne ferment pas leurs yeux lorsqu'ils dorment pour rappeler aux moines qui psalmodient qu'ils doivent être concentrés. L'autre, de forme rectangulaire, est suspendu devant la salle des repas d'un temple bouddhiste. Quand les moines prennent leur petit déjeuner ou leur déjeuner, ils le frappent pour produire un rythme qu'ils appellent "Bang". source Chine Informations.
10 - Sutra du Lotus blanc du vrai Dharma se présente dans le Mahâyana comme un enseignement ultime prodigué par le Bouddha à la fin de sa vie terrestre, à Rajagriha, au Pic des Vautours (ou Pic sacré de l'Aigle).
11 - Il s'agirait de "La litanie de l'eau de l'empereur des Liang". L'empereur Wu des Liang (502-546) appelé aussi, sur la fin de sa vie, "l'Empereur bodhisattva", car bien que confucianiste il est devenu un fervent bouddhiste, notamment en faisant plusieurs séjours dans des monastères mais aussi en développant une culture morale exigeante auprès des fonctionnaires de l'empire. Lui même faisait des voeux de pauvreté, et veillait à respecter la vie (végétarien, opposé aux sacrifiques animaux et aux exécutions capitales. Il était peu en retrait vis-à-vis du taoïsme. A. Levy précise que selon la légende, Wu aurait fait réciter cette prière écrite sur dix rouleaux pour apaiser l'âme de sa femme jalouse, transformée à sa mort en serpent. Ainsi elle serait montée au ciel. Ce texte pourrait être à l'origine de cérémonies destinées au salut des âmes en peine sur terre et dans les eaux.
10 - Il serait fait allusion selon Anthony Yu à un vers du poête bouddhiste de la Dynastie Tang Jia Dao (779-843).
Perdue dans cette complainte des bonzes, l'expression "Quant au reste, querelles et babillages d’oiseaux et loriots, tout cela ne saurait prendre le grand véhicule" semble exprimer que les moines s'en tiennent scrupuleusement aux rituels et aux habitudes qui font leur quotidien sans se donner les moyens de lutter contre les mauvais esprits et démons... Ici le loriot peut symboliser l'insouciance face aux dangers et leur incapacité à anticiper les menaces de crainte d'attirer les foudres des créatures démoniaques. Il s'en tient à sa quotidienneté.
Chapitre 90 - Où maîtres et lions, donnant et recevant, retourne à l'unité, violer la voie, capter méditation apaise nonuples-numinosité
p. 771.
Contexte :
Le lendemain, le grand saint emmena Sablet sur un nuage qui les déposa bientôt au sommet du mont Noeuds-de-Bambou. Quelle montagne majestueuse leur apparaissait du haut de leur nuage ! On voyait
Une rangée de pics rudes et escarpés. Au fond du ravin gargouillent les eaux d’un torrent ; au pied de la falaise abrupte s’étend le brocart de fleurs odorantes. Le vieux chemin serpente sous les cimes étagées.
Ah! vraiment : la grue est la seule compagne du pin et le nuage qui s’en va laisse la roche sans soutien ;
Le gibbon noir à la recherche de fruits se tourne vers la lumière ; cerfs et biches qui broutent les fleurs se plaisent à la chaleur du soleil. Auprès du délicat chant du phénix bleu, les entrelacs de la voix du loriot paraissent grossiers.
Au printemps, pêchers et pruniers rivalisent de charme ; en été, la luxuriance du saule le dispute à celle du sophora. A l’automne s'étendent les tapis de fleurs jaunes ; l'hiver, volent les flocons de neige. La beauté de la saison aux quatre époques et huit fêtes ne le cède en rien aux paysages merveilleux des îles d'immortels.
Dans cette ode aux quatre saisons, le loriot est toujours associé au printemps... mais il semble perdre de sa faconde, à son chant primesautier succède une mélopée plus rauque en comparaison à celui du phénix bleu. Le fenghuang (鳳凰 / 凤凰 pinyin : fènghuáng) ou phénix chinois est l' oiseau mythique représenté souvent sous l'apparence d'une cigogne ; il règne sur tous les autres oiseaux. Les mâles sont appelés Feng (鳳) et les femelles Huang (凰). Cette distinction des genres est parfois éclipsée pour ne former qu'une seule entité féminine. En effet cet oiseau est souvent associé au dragon (dont il est parfois considéré comme le père) qui est son pendant masculin. Le roi des oiseaux niche dans des zones inaccessibles aux humains. Il vit dans la cordillère de Kunlun (la chaîne de montagne à l’Ouest de la Chine continentale), au sommet de grands arbres nommés les arbres Wutong, une variété d’arbres chinois (Firmania simplex). On lui attribue beaucoup de vertus : prospérité, sagesse, immortalité...
Chapitre 94 - Où les quatre moines sont fêtés par un banquet au Parc Royal, et la créature nourrit en vain des sentiments qui portent au désir.
p. 849
Contexte :
Cheminant vers un nouveau royaume la destinée a voulu que le moine chinois recoivent sur la tête une balle, comme une pichenette, qui finit par rouler dans sa manche. A son insu il est devenu l'élu d'une belle princesse. Tripitaka n'a pas d'autre choix que de rencontrer le roi particulièrement avenant. Il serait tant flatté d'avoir pour gendre le "frère de coeur" du Grand Tang de Chang'an. Nous arrivons au moment où le roi fait sortir son char pour inviter Tripitaka à l’accompagner au parc royal, un lieu enchanteur, assurément :
{/up text-fit}{/up div}
Le sentier est pavé de dalles multicolores, la balustrade est finement ajourée. Le long du sentier poussent des plantes rares, d'étranges fleurs émergent de la balustrade.
D'ensorcelants pêchers égarent le martin-pêcheur ; les tendres saules cachent le loriot. Un lourd parfum emplit les manches des promeneurs, une pure fragrance imbibe leurs vêtements.
Entre la terrasse aux phénix et l'étang aux dragons, pavillon de bambous et kiosque de pins : ici, un air de flûte attire les phénix, là les poissons se transforment en dragons et s'en vont [...].
Chapitre 94
p. 851
Contexte :
Le roi et sa suite contemplent longuement le lieu enchanteur. Singet et ses comparses arrivent au kiosque Qui-Retient-le-Printemps pour banqueter. Puis, ravi, le roi accompagne l'élu de sa fille, au pavillon de Perpétuelle-Pacification. Le maître des lieux donne aussitôt l’ordre à l’officier de garde : «Va me chercher les quatre trésors du lettré (c'est-à-dire un pinceau, un écritoire ou pierre à encre, de l'encre et du papier) pour que je prie Notre gendre de noter ces œuvres, que nous pourrons ainsi savourer à loisir.» Le Vénérable s’empare volontiers du pinceau pour composer, un poème célébrant le cycle de quatre saisons) :
C'est le printemps
La glace fond tandis que tourne la terre, Et se renouvellent dans le parc royal les fleurs. Douces pluies et brise apportent le bonheur, Lavent fleuves et mers de toute poussière."
Sur le poème célébrant l’été :
L’Ourse montre le sud : s’allongent les journées, Sophoras, grenadiers sont en rivalité.
Dans le saule hirondelles, loriots pépient : Jusqu’à nous parviennent leurs doubles mélodies.
Sur le poème célébrant l’automne :
Flotte le parfum de l’orange qui jaunit. Du gel qui tombe, le cyprès se réjouit. Le chrysanthème de la haie s'épanouit. Par les eaux et nues la chanson retentit.
Sur le poème célébrant l’hiver :
Ciel clair et froid après la première neige :
Pics étranges et rocs bizarres s’agrègent.
Sur le charbon animal (1) le koumis (2) est chaud :
Mains dans les manches, nous chantons contre l'enclos."
Annotations :
1) le charbon animal est de qualité supérieur. Il est obtenu à partir de la calcination d'ossements.
2) le koumis : lait de jument ou d'anesse fermenté.
Enchanté, le roi fait donner l’ordre au bureau de musique de jouer des airs sur ces nouveaux poèmes. Ils ne se séparèrent point avant la fin de la journée. Les vers sont mis immédiatement en musique, tandis que les verres de Singet et de ses complices ne cessaient de se vider et seremplir au point d'être complétement ivres. L'Idiot ne manque pas de se moquer de son maître en ces termes : "Noble et bon gendre", nous devons honorer le roi avant la consommation du mariage !
Chapitre 96 - Où Messire Kou accueille avec joie le moine éminent, et le vénérable ne convoite ni honneurs ni richesses.
pp. 877-878
Contexte :
Les pélerins poursuivent leur route vers l'Ouest, le printemps arrive sur sa fin et l'été s'amorce :
Il fait beau : que le temps est tonifiant !
Les nénuphars poussent dans les étangs.
La pluie mûrit les dernières prunes,
Le blé doré sous la brise opportune. Là où tombent les fleurs odorantes,
Dans le saule que le loriot fréquente,
L’hirondelle amène ses petits.
Le faisan nourrit les siens dans les cris.
Le soleil brille sans fin tout autour
Et donne à tout le plus bel éclat du jour.
Le maître et ses acolytes après un demi-mois de cheminement vers l'Ouest finissent par arriver dans une grande cité. Ils vont rencontrer un riche marchand, bouddhiste de confession qui leur tient à peu près ce langage : "J'ai vécu soixante-quatre vaines années. A quarante ans, j'ai fait un voeu qui ne sera accompli que lorsque j'aurai nourri dix mille moines. Il ne m'en manque que 4 pour atteindre le chiffre complet... Après un copieux repas végétarien le vénérable exprime le souhait de reprendre la route, mais Messire Kou Hong fait tout pour garder ses invités le plus longtemps possible...
Dans cette dernière évocation le loriot associé une nouvelle fois au saule, symbole lui aussi de l'immortalié. On sait que la miséricordieuse bodhisattva Guanyin a toujours avec elle une branche de saule qu'elle trempe dans sa fiole d'eau pur pour panser les souffrances des êtres vivants et apporter un remède (le saule a des vertus analgésiques connues en phytothérapie). Elle remplit une fonction atropaïque en contribuant à repousser au loin les mauvais esprits et le mal... Sur les fines branches du saule, l'hirondelle invite prudemment ses petits, enfin sortis du nid, à s'y poser pour désormais prendre leur envol avec de plus en plus d'assurance face aux dangers du ciel. Et chaque couple de loriots a le même comportement protecteur vis-à-vis de ses petiots pour assurer le cycle de la vie au fil des saisons.
En guide de conclusion :
Dans La Pérégrination vers l'Ouest, l'imaginaire poussé à l'extrême développé dans le célèbre roman contribue à sa renommée parmi les quatre joyaux de la littérature chinoise. Il n'est toutefois pas exempt d'un grand réalisme ancré dans la nature : en témoigne cet exemple concernant le loriot. Il en est de même de l'hirondelle à laquelle le loriot est souvent associé, mais aussi de la grue, du martin pêcheur, de l'aigrette blanche et d' autres oiseaux qui composent le bestiaire ailé du roman. Si l'on considère également le répertoire des végétaux présents dans le roman et auxquels sont associés plusieurs autres oiseaux, il n'y a pas besoin d'être ornithologue ou botaniste pour observer qu'ils sont souvent identifiables sur le plan de la taxologie à quelques exceptions près.
Ceci étant les oiseaux sont toujours évoqués comme éléments à la gloire de la nature. La frontière entre le réalisme et le fantastique n'est toutefois pas étanche, bien au contraire. Sans que l'on y prenne garde la réalité peut nous fait passer dans l'imaginaire, le symbolisme, la mythologie, la cosmogonie bouddhiste et taoïste dans un monde fantasmagorique. Le loriot constitue souvent la l'annonce discrète de ce passage d'un monde à l'autre. Ce recours à l'oiseau doré dans Pérégrination vers l'Ouest s'inscrit dans la tradition de la poésie classique chinoise. On pense notamment à Du Fu, le grand poéte de la période Tang.
Jacques Chaplain, Les Jardins du Loriot, Mis à jour le 07/10/2024.
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