Hommage à Raymond Grall

RAYMOND GRALL,

l'horticulteur qui a su donner aux Rhododendrons des airs de Cornouailles

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Revenant juste du Finistère où nous avions eu le plaisir de visiter les jardins de Thérèze Bleuzen et de Jean Tassin, par une heureuse coïncidence, nous avons reçu aux Jardins du Loriot Raymond Grall, dont le nom avait été évoqué à plusieurs reprises lors de la découverte des rhododendrons et camélias de nos deux jardiniers émérite du côté de Brest. C’était à l’automne 2017.

Ce fût le début d'une riche relation mais trop brève.

Raymond Grall nous a d'abord transmis immédiatement un virus qui résiste à tous les vaccins possibles et imaginables, Il est plutôt bienfaisant, mais inextinguible. Il peut être appelé rhododendron-mania lorsqu'il prend la forme d'un désir incompressible de collectionneur et par d'autres rhododendronite avec des formes très aiguës (des rhodos des rhodos en abondance. Toujours est-il que c'est grâce à Raymond Grall nous avons pu relever le défi de planter plus de 250 rhododendrons et azalées aux Jardins du Loriot.

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Raymond Grall nous a reçu plusieurs fois à Plougar et nous avons eu le bonheur, à chaque fois renouvelé, d'arpenter son petit paradis botanique. Il reflète en miniature des pentes de l'Himalaya, des prairies des plateaux tibétains, des rives de rivière serpentant sur le toit du monde. La visite est un véritable invitation au voyage. Avec des moments d'humour : tel rhododendron peut avoir des oreilles de cocker lorsqu'il fait froid, tel autre peut faire référence à une pièce de Shaekespeare (R. Megeratum = La mégère apprivoisée)... ou au Barbier de Séville (R. Hirsutum) ! Il aimait à dire qu'il associait aussi souvent telle ou telle scène de son jardin à une pièce de musique. Un horticulteur hybrideur et jardinier est toujours un artiste. Ce n'est pas la nature qui fait uniquement son œuvre mais la main de l'homme qui aime obtenir une fleur issue d'un mariage voulu heureux. En bon compositeur de scènes paysagères, il maîtrise les arrangements. Lorsque l'on découvre les mariages heureux réalisés en Bretagne à partir d'espèces venues entre les fleuves mythiques de la Salouen, du Mékong ou du Kiang-tsé, il n'est pas excessif de dire que Raymond Grall est l'horticulteur finistérien qui a su donner aux Rhododendrons des airs de Cornouailles.

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Nos rencontres ont été l'occasion de visiter d'autres jardins bretons. Ainsi il nous a ouvert les portes du Jardin de Pellinec, joyau d'un ami qui partage sa passion des rhododendrons, et au clair de lune, celles du Jardin de Pierre Grall, son fils prématurément disparu. C'est à cet instant que j'ai eu envie de dédier notre plus grand massif à Pierre à qui il avait transmis sa passion et son métier d'horticulteur. Spontanément Raymond Grall me suggéra de nommer ce grand massif réalisé grâce à ses conseils : Sous le Regard de Pierre.

RGrallaveclesCoxRaymond Grall à Glendoick en grande discussion avec la famille des pépinièriste-botanistes COXDans le prolongement de cet enchantement, Raymond Grall a fini par nous avouer qu'il avait écrit un livre sur les rhododendrons notamment avec son ami Lennon. Par modestie il me confiait que s'il devait le récrire il serait différent. J'y ai trouvé un guide passionnant et pratique. Et de surcroît il m'a donné envie de glorifier aux Jardins du Loriot les grands botanistes collecteurs de rhododendrons dans les contre-fort de l’Himalaya, région qu'il a écumée à plusieurs reprises au cours de véritables expéditions botaniques. Car la passion des rhododendrons prend des formes bien spécifiques qui va de la paléobotanique à la maîtrise de l'hybridation de ces fameuses éricacées, en passant par l'histoire de la collecte des plantes et l'exploration . C'est ainsi que les missionnaires-botanistes (David, Delavay, Farges, Soulié – les fameux Quatre Mousquetaires) et les grands aventuriers (Farrer, Forrest, Kingdon-Ward et l'intrigant Rock) ont pris leur place aux Jardins du Loriot autour des Moulins à prière rappelant les souvenirs édifiants de ces collecteurs de rhododendrons. En évoquant l’intérêt de son ami Lennon pour les missionnaires-botaniste nous avons convenu que tous ces fous d’exploration et de fleurs avaient complément changé le paysage de nos jardins.

Nous publions ci-joint quelques extraits de l'article « in memoriam » rédigé par Jacqueline Petton, Présidente de la Société Bretonne de Rhododendrons paru dans la Revue de l'association.

Un enseignant tourné vers la recherche opérationnelle

D’abord professeur et directeur de maisons familiales à Plouescat et Lesneven, administrateur au sein du Conseil d’administration de la SICA de St Pol, Vice-Président de la Chambre d’agriculture, il s’est investi dans la recherche fondamentale avec la création de Végénov à Roscoff, a été, entre autres, Président de l’OBS de Plougoulm pendant plus de 10 ans, Président de la station expérimentale du CATE reconnue en matière de recherche végétale et horticole, tout en menant son entreprise spécialisée dans la culture et l'obtention de rhododendrons à Plougar aux côtés de sa femme Yvette.

Sur les terres de son père à Plougar il crée sa pépinière

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C'est au printemps 1976 qu'à peine démarrées, leurs toutes nouvelles plantations de rhododendrons greffés venus de Belgique ont été mises à mal par l’été sec et torride qui suivit, mettant en danger l’entreprise dès ses débuts. C’est à la suite de cette expérience malheureuse que Raymond Grall s’essaya à la bouture, procédé économique de multiplication du rhododendrons. Et ce fut un succès.

Co-auteur de l’ouvrage « Les Rhododendrons »LesRhodoGrallLennonClaustre

En 1991 il cosignait, avec ses amis Jean Lennon d’Elliant et Georges Claustre, un ouvrage intitulé ‘LES RHODODENDRONS’. A une époque où les publications sur les rhododendrons étaient presque toutes en anglais, ce livre de 220 pages a ouvert des horizons à pas mal d’amateurs ; abondamment illustré, il traitait de classification des espèces, de multiplication, donnait des conseils de culture et d’entretien, et surtout proposait un catalogue avec description de 300 hybrides  dont un grand nombre ont été produits à Plougar.

Une des chevilles ouvrières de la SBR

Il sont avec sa femme Yvette, Marc Colombel et sa épouse parmi les fondateurs de la Société Bretonne de Rhododendron (SBR). Et les premiers présidents d'une des associations horticoles les plus actives et particulièrement bien organisées... avec des adhérents sur toute la France.

Organisateur d’expéditions botaniques au Yunnan

RGetMuleVerticEn 1999, Raymond Grall, qui avait participé six ans auparavant à une expédition internationale en Chine aux côtés de Peter Cox, décide d’y retourner et de monter un voyage au Yunnan entre Français  (une douzaine de participants). C’est en grande majorité des Bretons qu’il entraîne avec lui ; son but est de ramener des graines en Bretagne pour les semer, produire des espèces rares qu’on ne trouve pas dans le commerce.

Ce fut une aventure inoubliable : un périple à travers le Yunnan, de Kunming à Dequin via Dali et Weixi, en suivant les vallées de la Saluen et du Mékong, en passant des cols à 5000 m dans des paysages grandioses avec une incursion au Tibet et un retour à Kunming, capitale de la province du Yunnan pour y rencontrer les membres de l’institut botanique et passer une journée à l’Exposition Universelle qui avait lieu cette année-là en Chine.

Pour mémoire, le Yunnan est la région la plus riche du monde en nombre d’espèces de rhododendrons. Le rêve de Raymond Grall allait devenir une réalité.

Des liens avec l’ Institut Botanique de Kunming (ex Dali) se sont noués à cette occasion et se poursuivent grâce à Patrick Bellec, via des correspondances régulières.

Raymond Grall a dû, à contrecœur, renoncer aux chasses aux plantes qui ont suivi celle de 1999 au Yunnan mais il a su ainsi transmettre sa passion des rhododendrons à l'ensemble des adhérents de la SBR. Des équipes plus jeunes ont pris le relais pour que les expéditions aux contreforts de l’Himalaya puissent se poursuivre. Ainsi, Patrick Bellec en 2002, 2005 et 2018, puis Gilles Rouau, J. François Petton et Jacqueline (actuelle présidente de l'association) de 2007 à 2016 ont continué à organiser des voyages ou treks en Asie. Il en est resté un moteur essentiel : en notant par avance, les lieux susceptibles d’abriter les espèces convoitées et surtout en semant une bonne partie des graines récoltées par ses successeurs, en réussissant à bouturer le moindre bout de tige avec un succès époustouflant. Quelques mois à peine après avoir atterri à Plougar, des centaines de petits plants envahissaient son tunnel de multiplication et les adhérents étaient invités à partager son plaisir et sa fierté d’avoir réussi à faire lever ou à bouturer telle ou telle variété rare ; il avait des doigts magiques et une expérience exceptionnelle en la matière.

La magie de l’hybridation

Raymond Grall aimait tous les rhododendrons et les hybrides occupaient aussi une grande place dans sa vie : R. LennonRhododendron J. Lennon - obtention 1992 R. Grall à partir de R Anna Rose Witney d’une part parce que professionnellement l’essentiel de la production concernait les hybrides ; d’autre part parce que lui-même a participé activement à la création de nouvelles variétés .

Une mention spéciale doit être faite à R. ‘Jean Lennon’ nommé en 2004 en l’honneur de son ami très cher disparu cette année-là. Je peux vous assurer qu’il est remarquable. Raymond me l’avait offert, c’est le seul Rhododendron que j’ai perdu… j’avais eu l’imprudence de le planter à proximité d’un passage de chevreuils ! Un autre ami a été honoré par R. ‘Stesyl’

Une autre obtention de Raymond a fait l'objet d’un enregistrement en 2008, un très bel hybride de grande feuille, ‘Chantal de Kersulec’.

Tout récemment, en cette année 2020, il a fait enregistrer un dernier rhododendron : ‘Katoushka’ ; issu d’une hybridation faite par J.-F. St Jalm (Tamarindos x Gwillt King) et nommé en l’honneur d’une de leurs filles, Catherine.

Le nombre de ses obtentions non enregistrées mais largement commercialisées approche la dizaine et, mis à part ‘Daniel Gélin’, pratiquement tous sont dédiés à des membres de sa famille marquant ainsi le profond attachement de Raymond Grall à ses proches : à son père ‘Souvenir de Louis Grall’, à son fils disparu ‘Pierre Grall’, à ses petits-enfants ‘Ana’Youna’, ‘Florian’, ‘Howel’, ‘Samy’, ‘Lila Le’ et à d’autres relations familiales : ‘Hélène’, ‘Maëlys’.

Des rhododendrons, oui mais pas uniquement !

Raymond est aussi le créateur de plusieurs variétés de camélias, il avait enregistré l’une d’entre elles en 2018 : ‘P’tit Zeff’ était une ‘chance seedling’ d’un Camelia yunnanense qu’il avait semé au retour du Yunnan en 1999 

Raymond aimait particulièrement les rhododendrons mais pas seulement : il s’enthousiasmait pour toutes les plantes susceptibles d’embellir nos jardins ; son penchant pour les érables ou les magnolias était manifeste ; la Bretagne étant une terre d’accueil idéale pour ces arbustes, il en faisait l’éloge et la promotion avec une énergie inépuisable !

En matière de paysages, Raymond a largement contribué à la métamorphose de nombreux parcs en multipliant et en cultivant à grande échelle les plantes de terre de bruyère. La notoriété des pépinières Kerisnel (groupement de producteurs dans lequel se situe l'entreprise Grall) dépasse depuis longtemps les frontières bretonnes et même françaises. Le très beau jardin qu’Yvette et lui ont dessiné et planté autour de leur maison à Plougar est une vitrine de ce que Kerisnel a produit de mieux en matière de beaux végétaux : magnolias, acers, camellias, Pieris y côtoient les rhododendrons avec harmonie pour assurer un spectacle continu tel un hymne aux Quatre Saisons…

Nous partageons avec Jacqueline Petton, Présidente de la SBR  toutes les qualités qu'avait Raymond Grall : simplicité, modestie, générosité, humour, enthousiasme, pédagogie et engagement associatif...

Il était de plus Officier du Mérite Agricole.

On the road to Paradise...

YunnanL'annonce de sa disparition le 2 novembre 2020 nous a laissé sans voix car nous rien ne nous laissait entrevoir cette triste nouvelle. Lors de  notre dernière conversation téléphonique quelques jours auparavant, Raymond Grall qui savait encourager toutes les initiatives de création paysagère en recourant à la riche palette des rhododendrons me répétait encore « Si tu as un rêve, réalise le ! » L'horticulteur survenu du bout du monde dans notre jardin en 2017 avec sa femme Yves  m'a aidé ainsi à réaliser plusieurs massifs de rhododendrons, là où il m'apparaissait impossible de l'envisager. En suivant ses conseils et en lui faisant confiance, je crois pouvoir dire que le rêve que je caressais est devenu un réalité.

Désormais sur le chemin du Paradis bordé de rhododendrons, je suis persuadé que Raymond Grall, amoureux de l’ancien royaume de Dali, continue à suivre, comme le faisait G. Forrest et J. F. Rock les recommandations des collecteurs de plantes indigènes et à lire, sans peine, les cartes « géographiques » et à deviner les pictogrammes des Dongba, fameux chamans Naxi : elles révèlent les endroits où se niche la beauté qu'il recherchait jusqu'au cœur de ses fleurs préférées mais aussi, assurément, la voie de l'éternité.

 

Jacques Chaplain, les Jardins du Loriot, 31 décembre 2020.

Merci à Jacqueline Petton de m'avoir autorisé à prélever des larges extraits de son bel article en hommage à notre ami Raymond Grall. La plupart des photographies ont été réalisées par les adhérents de la SBR.