La grenouille de Madame Laffont
Blick « Blog du Loriot » - n° 01
Petit détail de l’histoire des Jardins du Loriot
Une grenouille verte…
J’entends les voix désormais silencieuses de mon enfance. Celle, par exemple, de Madame Boesch, cette belle grand-mère aux cheveux argentés qui m’invitait à partager la tranquillité et la magnificence de son jardin. Puis ce fut le temps de la Renaîtrie. Mes parents avaient conçu un petit jardin à la française avec ses parterres carrés, ses allées symétriques, ses pergolas de rosiers. Métamorphosé à l’anglaise, à la suite de l' envahissement racinaire devenu incontrôlable d'un splendide Mimosa julibrissin, ce petit paradis était composé de charmantes scènes paysagères avec son puits, ses enrochements bordés d’un pin de Koster, ses marches délicatement maçonnées. En son centre rayonnait discrètement un bassin serti de rugueuses rocailles ramenées, non sans mal, d’Availles et de la brande sauvage du Pinail. Je me souviens que le chargement de la charrette tirée par un beauceron avait viré en cours de chemin dans un fossé. Le cocher de Monsieur Prédeau s'était-il assoupi, une roue avait-elle défailli, le cheval aurait-il pris peur en croisant une automobile ?
Ce bassin façonné par mon père Daniel, petit industriel-artisan avec son frère, accueillait un pied de nénuphar. Celui-ci faisait le bonheur de quelques grenouilles… Elles vivaient sous la protection d’une grande sœur. Cette amie fidèle n’avait pas fait beaucoup de chemin pour en arriver là. Plus bas dans la rue, habitait Mme Laffont. Elle louait une partie de sa grande maison aux « Contributions directes ». C’est là que Suzanne, ma mère exerçait la fonction d'agent d'assiette ! Avant de partir vers un autre monde, Madame Laffont avait donné à mes parents, un banc de pierre de Chauvigny, une belle table de ginguette 1900 et… une grenouille en fonte, survivante d'un jeu d'adresse. Il fallait essayer de lancer des piécettes dans la gueule de la grenouille.
Pour garder le souvenir de La Renaîtrie, j’ai emporté quelques reliques à La Mancelière. La grenouille en fonte de Madame Laffont, le banc de pierre sur lequel La Fontaine aurait pu écrire une poésie pour sa printanière cousine Jeanne Pidoux, tout près de la Renaîtrie, sur le chemin de son exil… à Limoges. Je n’ai pas oublié non plus sa table de guinguette… avec ses chaises d’époque, ambiance La Grenouillère garantie !
Dans les allées bordant les bassins superposés des nymphéas aux Jardins du Loriot, vous pourrez à votre tour imaginer, assis sur le petit banc de pierre de Madame Laffont, l’histoire de cette grenouille verte parmi toutes les grenouilles en terre cuite, en méditation, conçues récemment par l'artiste Rolland Joubert, un ami nantais, pour les Jardins du loriot.
Ces souvenirs d'enfance à propos de cette grenouille m'expliquent, seulement aujourd'hui, l'intérêt que je porte à la création de bassins (mais aussi la fabrication d'éléments décoratifs). Dans tous les jardins de mon enfance il y avait au moins une pièce d'eau. Là où je suis né, j'ai chuté plusieurs fois dans le bassin du potager ! Dans le jardin de Madame Boesch, des petits ponts en rocailles ajourées permettaient d'entrevoir les reflets d'or des poissons rouges habitués à leur modeste habitat. Entre les murs de tuffaut du jardin de mon grand'père rayonnait un bassin circulaire planté d'iris, pièce centrale et nodale d'univers très différents. Il donnait sur ses plates bandes, ses fruitiers, sa grande pergola et son poulailler, mais aussi, étrangement, côté ouest sur la petite usine famililale. La remarque n'est pas anodine : mine de rien, gosse j'observais comment travaillaient mon oncle et mon père, mais aussi l'adresse des ouvriers. Rue de la Renaîtrie le bassin de mon père était aussi au centre du jardin !
Jacques Chaplain
Post Scriptum : Quelques précisions sur le Jeu de la Grenouille que je ne connaissais pas jusqu'alors. Dans ce jeu dit "de tonneau", la grenouille était placée sur un meuble en bois avec d'autres petits éléments en fonte (arceaux, pontets, roues à aube..). Par les ajourements situés sous chaque élément du jeu, la pièce lancée par chaque joueur pouvait tomber dans des casiers situés sur les étagères inférieures. Chaque casier représentait une valeur ! C'est ainsi que les plus adroits ou les plus chanceux des joueurs pouvaient imaginer gagner au moins 1000 francs ! Si Daniel n'avait pas fixé ad vitam aeternam cette grenouille sur sa rocaille, j'aurai, peut-être, eu l'idée de devenir riche en m'adonnant au jeu ! Mais aussi, me direz-vous; j'aurai pu installer la Grenouille de Madame Laffont dans une fontaine style Trévi aux Jardins du Loriot, pourquoi pas, tout jardin est un lieu de sociabilté et de partage.
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